LA FAMILLE NAUDET, UNE LIGNEE DE MEDECINS DE PLEAUX

 

Jean-Yves NAUDET
Professeur émérite
Université Aix-Marseille

 

Les journées du Patrimoine des 17 et 18 septembre 2016 ont été marquées, à Pleaux, par une exposition, organisée par l’Association des Amis de la Xaintrie Cantalienne, portant sur la médecine d’autrefois en Xaintrie. C’était notamment l’occasion de présenter une collection d’ouvrages et de documents, issus de la bibliothèque de plusieurs générations de médecins pleaudiens, les Dapeyron. Cette famille, qui a joué un rôle déterminant dans l’histoire de Pleaux, a donné de nombreux médecins, chirurgiens et apothicaires, au cours des 17° et 18° siècles. 

Une autre famille, celle des Naudet, a également joué un rôle dans l’histoire médicale de Pleaux et des communes voisines. Cette famille est originaire de Cros-de-Montvert et elle s’est installée au 17° siècle au village de Mézergues, qui était alors rattaché à la Paroisse (et à la commune) de Rouffiac. Mézergues se situant au nord de Cros-de-Montvert, et donc plus loin de Rouffiac, qui est au sud, les habitants, ainsi que ceux d’autres villages, ont demandé, beaucoup plus tard, en 1833, à être rattachés à la commune de Cros-de-Montvert, ce qui est toujours le cas aujourd’hui. Cela explique que, selon les époques, Mézergues soit cité à propos de l’une, puis de l’autre des communes.

Les Naudet, au 17° siècle, notamment Antoine, puis son fils Géraud, étaient alors qualifiés de « maitre-serruriers », tout en étant des propriétaires-terriens (divers actes de l’époque font état d’achat de terrains et maisons). Géraud était aussi marchand et greffier des rôles de Rouffiac. L’un des fils de Géraud, Jean-François (1675-1742), né à Mézergues, ayant épousé en 1698 Marguerite Dabernat, de Pleaux, s’est installé au Verdier comme cultivateur. Mais la famille s’est rapidement rapprochée du centre de Pleaux et l’un de ses fils, François, né en 1714, est devenu marchand-drapier à Pleaux, où il habitait rue d’Empeyssine (en face de la tour Dapeyron) dans une maison où l’on peut encore observer aujourd’hui un escalier en bois du 17° siècle et qu’une partie de la famille Naudet a occupée jusqu’à la fin du 19° siècle. François a épousé en 1762 Françoise Rigieyx, issue également d’une famille de marchands de Pleaux ; leur contrat de mariage fait état d’ailleurs d’une dot substantielle des parents de Françoise, à laquelle Antoine Rigieyx, son frère, qui était prêtre, « ayant le mariage pour agréable », ajoute la somme de 200 livres. La famille Naudet, ayant manifestement acquis une certaine aisance par ses activités commerciales, au moment où le commerce jouait un rôle majeur à Pleaux, a donné la possibilité à deux de ses enfants de faire des études à Montpellier, qui comportait une faculté de médecine, parmi les plus anciennes et les plus réputées de France. C’est à cette occasion que commencent les liens entre la famille Naudet et la médecine. 

L’ainé des fils de François, Jean-François-Benoit Naudet (1763-1823), a obtenu une première partie de ses diplômes de médecine, à Montpellier, le 14 janvier 1782, en publiant et soutenant un travail de recherche, sous le titre: « Dissertatio medica de vermibus intestinalibus », donc sur les vers intestinaux. Il a ensuite soutenu sa thèse de doctorat en médecine, toujours à la Faculté de Montpellier, quatre ans plus tard, en 1786, puis il s’est installé comme médecin à Pleaux. Il avait épousé, l’année précédente, en 1785 donc, Marie-Anne Gineste-Lachaze, issue d’une famille de juges, d’avocats et de notaires de Pleaux. Son grand-père, en particulier, Emeric-Ignace, était juge « pour le seigneur de Lignerac », et il était réputé à Pleaux pour sa sévérité. Son père, Pierre, avocat au Parlement, a fait construire en 1777 une immense maison, sur un terrain que possédait la famille Gineste, à la place d’une maison plus ancienne, venant de la famille Lachaze, des notaires royaux. Ce terrain, qui était à l’origine l’enclos royal, se trouvait au 18° entre le couvent des Carmes (qui deviendra le petit séminaire au 19° siècle, puis le collège au 20°) et la Tour Dapeyron. Un plan ancien des Carmes fait état des jardins contigus au couvent, le « jardin Naudet, médecin », le jardin Gineste et le jardin Dapeyron et, juste à côté, les « jardin et grange veuve Gineste ». 

Cette maison est bien connue à Pleaux, successivement sous les noms de Maison Gineste, puis Naudet, Barbier et enfin Gaillard. En effet, la mort medecin pleaux01prématurée de Pierre Gineste a laissé cinq enfants, tous mineurs, et c’est l’ainée, Marie-Anne Gineste-Lachaze, qui a dû être émancipée à cette occasion, que le docteur Naudet a épousée. Les nouveaux mariés se sont installés dans cette maison de 1777, aux côtés des autres membres de la famille Gineste et, par la suite, les Naudet ont résidé soit dans cette maison, tout au long du 19° siècle, soit dans celle de la rue d’Empeyssine. Pour revenir aux Gineste, ajoutons que, pendant la Révolution, en juin 1793, la belle-mère du docteur Naudet, « Françoise Delzors, veuve Gineste », a figuré dans la liste « des personnes suspectes ou fanatisées », mais, à Pleaux, aucune des personnes de cette liste n’a jamais été inquiétée. 

Le docteur Jean-François-Benoît Naudet a joué un rôle à Pleaux, en particulier au moment des Etats-Généraux, en co-rédigeant et signant, avec les Dapeyron et d’autres familles de Pleaux, tous âgés de plus de 25 ans, « et compris dans les rôles des contributions », le cahier de doléances protestant contre la lourdeur des impôts : « Les trois-quarts des revenus -de Pleaux- sont mangés par les impôts royaux » et « Le défaut de ressources pour payer les impôts et subsister nécessite cette émigration opposée à l’inclination naturelle du Français, surtout de l’Auvergnat » Emigration « de quoi résulte la rareté des domestiques, l’excès de leurs salaires, le défaut d’agriculture, la médiocrité des récoltes et mille autres suites funestes au maintien des familles ». Par ailleurs, à l’occasion de l’inventaire du Couvent des Carmes, en juillet 1790, on trouve dans la liste des titres et papiers, « une obligation de 388 livres par Sr François et Jean-François Naudet, père et fils du présent lieu, en faveur des des.P. Carmes, passée devant Biard notaire royal le 12 janvier 1788 ». Toujours en 1790, le docteur Naudet a été élu « unanimement » comme « député », aux côtés de M. Fumel, pour aller discuter à Clermont-Ferrand de l’éventuelle constitution d’une fédération de la garde nationale d’Auvergne, avec pouvoir d’en « régler, avec les autres députés de la contrée la forme, le temps, le lieu et les conditions » et de « voter une adresse de remerciements à l’Assemblée nationale ». Enfin, en décembre 1794, il est désigné comme officier municipal dans la nouvelle municipalité mise alors en place. 

Le second fils de François, Jean (1765-1829), habitait dans la maison de la rue d’Empeyssine, où il est d‘ailleurs décédé. Il est d’abord qualifié « d’officier de santé » au moment de son mariage, l’an II, pendant la Révolution, puis il s’installera plus tard comme chirurgien à Pleaux. En 1792, au moment de la réélection de la municipalité, Jean Naudet a été élu dans la catégorie des « notables » (Selon la loi, la ville de Pleaux devait être administrée par un maire, 5 officiers municipaux, un procureur, un secrétaire greffier et 12 notables, le tout formant le conseil général de la commune). Encore « officier de santé », il est désigné en février 1794 pour faire, durant le mois, « dans la salle de la société populaire la lecture des lois et des nouvelles ». Son propre fils, lui aussi appelé Jean-François-Benoit, comme son oncle (1806-1883), a également fait des études de médecine et s’est installé à son tour, pour y exercer, à Pleaux, où il avait épousé en 1832 Marie-Antoinette Astorg.

 

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Pour en revenir au premier Jean-François-Benoît, lui aussi a eu, comme son frère, un fils médecin, Joseph-Mathieu (1787-1869). Celui-ci est l’auteur d’une thèse, soutenue à Montpellier en 1814, consacrée à un « Essai sur la coqueluche », dans laquelle il rend hommage à toute sa famille et notamment à son père « Docteur en médecine de cette Faculté ». Joseph-Mathieu avait épousé en 1813 Marguerite Fageole (ou Fageolles), du Bouissou (ou Bouyssou) à Rouffiac et c’est pour cette raison, (mais aussi parce qu’il y avait déjà en même temps plusieurs Naudet médecins à Pleaux), qu’il s’est installé comme médecin au Bouissou, dans la commune de Rouffiac. La famille Fageolles était, selon certaines sources, propriétaire du Bouyssou depuis « au moins le début du XVe siècle », et ils remplissaient les fonctions d’intendants des seigneurs de Pénières (dont les ducs de Noailles). Le grand-père de Marguerite était d’ailleurs « procureur fiscal » de la baronnie de Pénières. Mais Jean-François et Marguerite Naudet ont dû aussi habiter Pleaux, puisqu’au moins un de leurs enfants y est né et que le docteur Naudet avait fait faire, en 1832, dans la maison de 1777, des travaux importants de restauration par un « peintre décorateur patenté », Auguste Delteil, avec des exigences telles que tout cela se termina par un procès ! Joseph-Mathieu, comme son épouse, sont décédés à Pleaux, où ils ont donc habité une partie de leur vie. 

Leur fils, Charles-Benoît, né à Rouffiac en 1814 et mort à Pleaux en 1896, avait épousé Octavie Chantegreil en 1843. Elle appartenait aussi à une famille de Pleaux, plus précisément de Beth. Son père, Jean-Joseph Chantegreil (1791-1863), marchand à Pleaux, a joué un rôle important dans l’histoire locale. Il a été en particulier maire de Pleaux de 1831 à 1843, et membre du conseil d’arrondissement. L’un de ses enfants (avec son épouse Françoise-Julie Astorg, ils ont eu 18 enfants !) est l’abbé Chantegreil (1834-1909), qui a enseigné au Petit-Séminaire, avant de devenir vicaire à Notre-Dame des Victoires à Paris, puis de se retirer en 1892 à Pleaux. C’est lui qui a offert la statue de la Vierge, qui était au cœur de la Cour du Petit-Séminaire jusqu’à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, et l’expulsion du bâtiment des élèves et de leur professeurs peu de temps après, en 1906, en pleine année scolaire, en décembre, et sous la neige. La statue a ensuite été déménagée, après la laïcisation du bâtiment, qui deviendra le collège.

Charles-Benoît est devenu lui aussi docteur en médecine, ayant soutenu une thèse en 1840 à Montpellier sur « le traitement des fractures simples des membres ». Il s’est installé comme médecin à Pleaux et il a joué un certain rôle dans l’histoire locale. Comme son beau-père Chantegreil, Charles-Benoit Naudet a été maire de Pleaux de 1873 à 1878 et conseiller d’arrondissement. A une époque où les tensions politiques étaient fortes, au tout début de la troisième République, il était plutôt soutenu par les Conservateurs, alors actifs à Pleaux, mais les Républicains gagnèrent les municipales de 1878. Benoit Naudet et son épouse Octavie Chantegreil firent construire une petite chapelle-tombeau au cimetière, que l’on voit dans l’allée centrale avec l’inscription « Famille Naudet-Chantegreil », où eux-mêmes et leurs descendants furent inhumés. 

Mais l’histoire des Naudet et de la médecine à Pleaux ne s’arrête pas là. Elle se prolonge avec deux des enfants de Charles-Benoit Naudet-Chantegreil. Le plus jeune, Antoine (1850-1915) est devenu pharmacien en 1875, diplômé à Clermont. Il s’est installé à Pleaux, la pharmacie devenant Chaumeil-Naudet, puis Lannoy-Naudet, Naudet-Roux et enfin Barthelemy-Naudet. Bien que marié deux fois,(dont l’une avec Céline Manileve, autre famille bien connue de Pleaux), il n’a pas eu de descendance et il a été le dernier Naudet habitant Pleaux, où il est mort en 1915. 

Son frère ainé, Frédéric (1844-1877), est, lui aussi, comme son père, son grand-père et son arrière-grand-père, devenu docteur en médecine, en soutenant sa thèse en 1870 (« Du phlegmon périnéphrétique ») et il a exercé à Pleaux, hélas peu de temps, puisqu’il est mort à 33 ans. Lorsqu’il était étudiant en médecine, il avait accompagné son père dans sa tournée à Saint-Julien-aux-Bois, en Corrèze, commune toute proche de Pleaux, car il y avait une épidémie de fièvre typhoïde et, à cette occasion, il a rencontré une jeune orpheline, Lydie Puex, dont il est tombé amoureux et qu’il a épousé en 1873, alors qu’elle n’avait même pas 18 ans. 

Lydie était elle-même issue d’une famille de médecins de Rouffiac. Son père, Jean-Baptiste Puex (1811-1860), avait soutenu sa thèse en 1845 (« De la chlorose ») et il était médecin au Bouissou. Mais il est décédé quand Lydie avait 5 ans (et sa mère était morte quand elle avait deux ans). Son grand-père, Pierre Puex, (1773-1842), né à Cros-de-Montvert, avait été officier de santé, chirurgien à l’hospice de Montpellier, puis il avait soutenu sa thèse de médecine l’an 12, (« Dissertation sur l’hydropisie ascite »), toujours à Montpellier, avant de s’installer comme médecin à Rouffiac. Lydie, encore enfant, avait non seulement perdu ses parents, mais aussi ses quatre grands-parents et elle a été élevée par son tuteur et arrière-grand-père, Bernard Rongier, (An 4-1880) qui était propriétaire-cultivateur à Vidal (Saint-Julien-aux-Bois). 

Son mariage avec le docteur Frédéric Naudet aurait dû mettre fin à ses malheurs. Les choses avaient en effet bien commencé, puisqu’elle avait eu deux garçons, Benoit (en 1874) et Joseph (en 1875) et elle attendait le troisième, lorsque son mari est mort brutalement, après quatre ans de mariage, alors qu’elle n’avait que 22 ans. Son troisième fils, né quinze jours après la mort de son père, est lui-même décédé un mois plus tard. Son remariage, quelques années plus tard, avec un militaire, l’a éloignée de Pleaux, ainsi que ses enfants, même si ceux-ci ont suivi leurs études en pension au Petit Séminaire de Pleaux, à quelques mètres de la résidence de leurs grands-parents paternels. 

C’est ainsi que la famille Naudet a quitté Pleaux, tout en gardant, pour Benoît et Joseph, toute leur vie des attaches amicales avec des condisciples du Petit Séminaire. Pour autant, les Naudet n’ont pas rompu avec la médecine. Le fils ainé de Frédéric, Benoit, s’est installé comme médecin à Artenay; un fils de Joseph, Louis, est devenu médecin de campagne dans les Pyrénées-Atlantiques, et la lignée continue, puisqu’un petit-fils de Joseph, et, aujourd’hui, une de ses arrière-petites-filles sont devenus médecins à leur tour. La mobilité, propre au XX° siècle, a rompu le lien géographique avec Pleaux, mais la mémoire reste et l’attachement affectif aux racines en assure la pérennité.